"Marc-Antoine Garnier, amplifier le réel" par Etienne Hatt
Parmi d’autres développements, la photographie des années 2010 fut marquée par la matérialisation et la spatialisation de l’image. Remettant en cause le modèle pictural du tableau accroché au mur, ces recherches croisèrent la photographie et la sculpture, l’installation ou l’architecture. Pour en rendre compte, Lucy Soutter a pu parler d’« expanded photography [1] » et Michel Poivert de « photographie amplifiée [2] ». Marc-Antoine Garnier, qui se forme au début de la décennie à l’école des beaux-arts de Rouen, s’inscrit dans cette dynamique mais, dépassant un conflit parfois irrésolu entre l’image et l’objet, réaffirme le pouvoir iconique de la représentation. À ses yeux, la photographie vaut pour son rapport indiciel au réel, à l’espace et au temps, même s’il ressent, selon ses termes, la nécessité de la « déconstruire » et de la « reconstruire » pour offrir une expérience plus complète du monde. À ses débuts, Marc-Antoine Garnier photographiait des bâtiments industriels ou des objets trouvés comme ceux présents dans la grille Photosculptures (2015) issue d’une commande sur la ville normande de Grand-Quevilly. Puis, reprenant une piste ouverte par les travaux autour du paysage Nisyros (2013) ou Kardamena (2016), mais rompant toute attache avec un territoire donné et identifiable, il s’est tourné vers le ciel, la mer, les roches et la végétation. Son intérêt semble ainsi avoir glissé d’une anthropologie des traces laissées par l’homme sur la planète – ruines à venir, rebuts, déchets, etc. – à la métaphysique de sa place – minime, relative – dans le monde. Car si la figure humaine est toujours absente des images, elle demeure en creux. Elle est présente dans le format en hauteur, significativement appelé « portrait », que privilégie l’artiste, alors que le traitement conventionnel de ses motifs appellerait l’horizontalité du format « paysage ». L’humain est ainsi le prisme inattendu par lequel entrer dans ces photographies qui semblent en contester l’existence. En témoignent ses photographies du ciel qui a fait l’objet de nombre de travaux récents de Marc-Antoine Garnier. Certaines prennent les nuages pour sujet et se situent dans un rapport renouvelé à la tradition photographique ouverte dans les années 1920-1930 par Alfred Stieglitz dont les Equivalents avaient la valeur d’émotions. D’autres font du ciel des abstractions qui le fragmentent et exploitent ses lumières, ses couleurs et leurs gradations. L’artiste utilise un appareil numérique qui évacue toute interférence et garantit une image transparente et lisse. Il photographie le plus souvent après le coucher du soleil et pointe son objectif au-dessus de la ligne d’horizon. Le Bleu du ciel (2019-2020), composé de quarante photographies prises à des moments et dans des lieux différents, souligne les infinies variations chromatiques des minutes qui précèdent la nuit. L’Heure bleue 1 (2019), une photographie réduite à une constellation de quarante disques de 2 cm de diamètres, montre cette richesse au sein d’une même image. À cette approche contemplative et intuitive, répondent les protocoles mis en place pour Temps solaire (2018) et Crépuscule (2020), dont les photographies, captées à intervalle régulier, sont présentées en séquences matérialisant le passage du temps dans un élan moins scientifique que poétique. S’il se refuse à les recadrer, Marc-Antoine Garnier laisse rarement ses photographies en l’état. Ses interventions sont variées. Les plus rares sont celles qui portent sur l’image. Elles relèvent alors de la manipulation numérique comme dans La Cime (2020), une vue des roches, qu’il a passée en négatif grâce à une opération sommaire sous Photoshop. Les plus nombreuses portent sur les tirages, des impressions jet d’encre sur un papier épais. L’une est la découpe circulaire ou le poinçonnage qui permettent à Marc-Antoine Garnier de créer des détails qu’il recolle ensuite sur un fond blanc, de manière partielle et éparse dans L’Heure bleue 1 ou systématique et régulière dans la série Le Détail (2020-2021), ensemble de photographies de 40 x 28 cm composées chacune de 2106 points. Surtout, dans le prolongement de la série Pliages (2017), ces recherches sur le support ont des développements dans l’espace. |
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